Chez soi – Présentation

Tout le monde semble s’accorder sur le fait que chaque être humain a besoin d’une bulle personnelle : zone privée qui indique son territoire, une bulle invisible autour de soi qui marque une distance et le protège du monde extérieur. Cette distance formerait une zone critique qui, si elle était franchie sans accord, provoquerait une réaction de fuite ou d’attaque. Pour vivre ensemble, le respect de la territorialité de chacun supposerait le choix de qui on fait entrer dans sa bulle et comment ce contact doit s’établir, bref le respect de distances interpersonnelles.

Il n’en reste pas moins que cette première considération sur la territorialité est généralement impensée. Pour se rendre compte des jeux de pouvoir inconscients liés au territoire, il suffit de changer les places à table ou dans le lit, occuper le fauteuil paternel, tenir une main un peu trop longuement… Poser la question de la nécessité d’occuper un territoire propre c’est convoquer le partage conceptuel traditionnel de la nature obéissant à des lois de nécessité opposée à la culture comme définition spatiale et temporelle de nos modes d’existence.

La vie privée, l’espace à soi est une construction historique. L’espace à soi n’a pas toujours été la condition pour permettre aux individus de se construire. À une époque, tout homme devait s’affranchir de la territorialité, du désir de posséder un chez soi, une propriété pour développer un art de la distance et du détachement ; chercher à goûter la fragilité de l’existence plutôt que le sentiment de sécurité. À une autre époque, la chambre à coucher était un espace quasi-public. À une autre époque encore, disposer d’une pièce à soi était une nécessité pour exister et créer. Avec cette trop brève réflexion historique, on oublierait presque qu’un voyage ethnologique sur l’habitat et sur les façons d’habiter est nécessaire.

Notre premier enjeu philosophique dans cette thématique est de questionner l’ordinaire parce qu’il est capital de mettre en perspective ce que nous trouvons naturel, normal dans nos propres considérations sur l’habitat, sur le « chez soi ».

Mona Chollet est une journaliste et essayiste suisse. Depuis 2016, elle est cheffe d’édition au journal Le Monde diplomatique.

Dans son essai « Chez soi odyssée de l’espace domestique », Mona Chollet propose un voyage sociologique, politique et intime dans nos intérieurs. Le « Chez soi », ce foyer, ce lieu confiné dit beaucoup du monde qui nous entoure. Interroger le « chez soi » c’est se donner l’occasion de repenser le monde et de convoquer pêle-mêle, la politique, l’architecture, le féminisme, les sans chez soi, les réseaux sociaux, le mal logement, la famine de temps et d’espace !

Les questions sont nombreuses et couvrent de nombreux champs disciplinaires : l’histoire, mais aussi l’anthropologie, l’ethnologie, de la sociologie et de la politique :

  • Comment l’homme fait-il exister un « chez soi » ? De quoi cela dépend-il ?
  • Est-il nécessaire d’avoir un espace à soi ? Que permet (et que ne permet pas) un espace à soi dans la constitution d’un individu ?
  • Pouvons-nous habiter n’importe où ? Avec n’importe qui ? Serait-il possible d’habiter une maison d’une autre société ? De quels repères aurions-nous besoin pour habiter chez quelqu’un d’autre ? Pour habiter ailleurs ?
  • Comment se façonne le territoire humain ? Jusqu’où s’étend-il ? Qui laissons-nous y entrer ? Qu’est-ce qui y entre sans se présenter ?
  • Quel type d’organisation les territoires révèlent-ils ? Comment les habitats des hommes se construisent-ils en fonction de leur manière de vivre en groupe ?
  • Pourquoi tout le monde ne dispose-t-il pas d’un chez soi ?
  • Avoir un chez soi se mérite-t-il ?

Les enfants proposent un voyage sociologique et ethnologique dans nos façons d’habiter. La prosopopée est une figure de style qui consiste à faire parler un mort, un animal, une chose. La prosopopée nous a servi dans les ateliers philo avec les enfants du cycle 10-12 ans pour questionner l’habitat humain.

Les questions des enfants étaient riches :

  • Qu’est-ce que cela veut dire habiter ? Dans quoi peut-on habiter ?
  • Habite-ton pareillement un endroit fixe (une maison par exemple) ou un endroit changeant (une tente) ?
  • Habite-t-on son corps comme on habite une maison ?
  • Avec qui peut-on habiter ?

Entendre la réflexion des enfants de 5ᵉ et 6ᵉ années de l’école des Érables à Liège sur « habiter »

Les enfants ont choisi une maison parmi une multitude d’images d’habitats du monde : projets architecturaux, habitats nomades, adaptés aux conditions socio-économiques, écologiques… Chacun a écrit l’autobiographie d’une maison. Les albums jeunesse, « La Maison » de Roberto Innocenti et « Ici » de Richard MacGuire racontent l’histoire d’un même habitat dans son évolution spatio-temporelle, en tenant compte de la petite et de la grande histoire. Graphiquement les traitements différents ont permis aux enfants de réaliser leur propre prosopopée d’une maison.

Écrire l’auto-biographie d’une maison

Réaliser l’autoportrait d’un habitat

Voir les prosopopées animées des enfants de 5ᵉ et 6ᵉ années de l’école des Érables à Liège

La cabane de la Jungle de Calais, par Odile

Lily et la maison Reactor

La cabane dans les bois d’Inès

La maison de Lola en Thaïlande

Earl et la maison Breathe

La station spatiale, par Noa

La maison de Faëlle, chez les Korowai

Décomposer l’habitat

Les enfants du cycle 5-8 ans ont joué avec les matériaux de construction. Avec les propositions d’Aurélien Débat, ils ont découvert de nouvelles façons de construire des cabanes, d’imaginer des villes. Ils ont monté des murs en briques, en glaces, en feuilles, en bois… grâce à des modules de papiers à « scratcher » sur un support. Ils ont construit des villes en tampons.

Ils ont aussi dessiné des habitats insolites et ont réussi à identifier de quoi ils étaient constitués pour dessiner à leur tour les maisons de leur rêve.

Voir les réalisations des enfants du cycle 5-8 ans de l’école des Érables à Liège et de l’école Saint-Martin d’Assesse

Sans chez soi

Après avoir questionné nos espaces domestiques et les lieux ou non lieux qu’on occupe ou traverse, il est temps de problématiser le concept même de chez soi.

Et ceux qui n’ont pas ce chez soi ? Comment entrer en dialogue avec eux ? Mais avant tout, qu’est-ce qui fait qu’on s’intéresse à quelqu’un ? Et d’abord, pourquoi la vie de sans-abris vous interpelle ? Comment on s’adresse à eux ? Quels types de question leur poser ? Comment on vit quand on est SDF ? Quand on veut-on réfléchir sur le (sans) chez soi ? Qu’est-ce qu’on se permet et se retient de poser comme questions ? Pourquoi ?

Écouter les interviews de Sabrina et Jack, répondant aux questions d’enfants de 10- 11 ans sur la vie dans la rue

L’émission complète sur le « (Sans) chez soi » est disponible en podcast sur La Brigade d’Intervention Philosophique.

Elle contient des lectures d’extraits de « Chez soi, une odyssée de l’espace domestique »de Mona Chollet, « L’homme au parapluie », un conte d’Axel Pleeck, un appel téléphonique à Alexis Filipucci au sujet d’un article « Précarité et santé ».

Remerciements

Nous tenons à remercier les instituteurs de la 3ᵉ maternelle à la 6ᵉ année primaire de toutes les écoles participantes au projet et les directions d’école qui ont permis d’organiser des ateliers philo dans les classes.

Merci aux enfants de chaque atelier pour leur curiosité, leur confiance et leur volonté de traduire leur réflexion avec nous, de toutes les manières possibles !

Merci également à Sabrina et Jack pour leur sincérité lors de l’interview.

Merci à Godefroid, géologue pour nous avoir permis de mieux comprendre les fondations géologiques de notre monde.

Merci enfin à Gilles et Giulia, nos deux voisins architectes pour leurs précieux conseils pour penser l’habitat autrement. Merci pour la conception de leur jeu, la présentation de leur métier et leur animation auprès des enfants.